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Reconnaître les faux avis : vers une norme internationale ?

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« Sur Internet, personne ne sait que tu es un chien. » Cette citation, issue d’un dessin célèbre de Peter Steiner, met en scène deux chiens devant un ordinateur. Elle symbolise le casse-tête des responsables de sites dont l’attractivité repose sur les avis de consommateurs (comme Trip Advisor, Yelp, Amazon…) : comment être sûr que les avis ont été écrits par des internautes ayant réellement expérimenté le service (chambre d’hôtel, restaurant…) ou le produit (livre, jouet…) passés en revue, en clair, comment reconnaître les faux avis des vrais ?

L’enjeu pour ces responsables est de taille car près de 9 français sur 10 consultent les avis de consommateurs sur Internet et 89 % d’entre eux les jugent « utiles » ou « très utiles ». Le poids des avis d’internautes ne cesse de croître, notamment dans le secteur des produits et services comme l’hôtellerie et la restauration. Pourtant, la grande majorité pense que certains avis de consommateurs sont faux(1).

Des avis de consommateurs hétérogènes et erronés

Selon une récente enquête de la Direction générale de la concurrence (DGCCRF), de la consommation et de la répression des fraudes, le taux d’anomalies s’accroit : il avoisine les 45 % tous secteurs confondus (automobile, électroménager, mobilier, habillement, services), en 2013, alors que ce taux s’élevait à 28,8 % en 2010.

D’après la DGCCRF, les façons de biaiser un avis sont toujours aussi nombreuses, depuis les choix de modération qui visent à supprimer les avis négatifs, à la mise en avant plus subtile des remarques positives, en passant par la rédaction de faux avis ou encore d’avis obtenus contre l’espérance d’un gain au tirage au sort. Des pratiques apparaissent également, comme les allégations trompeuses de conformité à la norme NF sur les avis en ligne.

Des faux avis de consommateurs sanctionnés au niveau international

Au niveau international, des dérives importantes ont récemment été santionnées. L’autorité de garantie de la concurrence et du marché (AGCM), l’anti-trust italienne, a infligé à Trip Advisor une amende de 500 000 euros d’amende en décembre dernier. L’autorité italienne estimait que, malgré, les messages sur le caractère « authentique et sincère » des avis du site, s’y glissaient toujours quelques contenus douteux (2).

Inciter à redonner confiance aux avis consommateur

Les méthodes de collectes et de traitement des avis sont en effet très hétérogènes. L’importance des avis en effet est telle qu’ils engendrent un véritable business. Sont concernés, les portails spécialisés (collecte, traitement, et restitution d’avis), les prestataires techniques (notamment les éditeurs de logiciels de filtrage des avis), les instituts de sondage, les agences d’e-réputation, les comparateurs de prix, les commerçants, les sites d’e-Commerce.

Dès lors, comment redonner confiance à l’internaute dans la véracité des avis ? Afin de promouvoir des avis fiables pour redonner confiance à l’internaute, de nouvelles méthodes apparaissent sur la toile, avec plus ou moins de succès.

Reconnaître les faux avis avec les « algorithmes contextuels »

Parmi elles, les « algorithmes contextuels ». Grâce aux travaux des linguistes sur le mensonge, des chercheurs américains de la Cornell University ont mis en lumière des caractéristiques textuelles propres aux faux avis. A l’aide d’indicateurs comme le style ou le niveau de langage, la longueur du texte ou l’emploi de certains mots, les chercheurs affirment pouvoir distinguer les faux avis des vrais avec 90 % de certitude. Pour en tester l’exactitude, les internautes sont d’ailleurs appelés à poster un avis en anglais dans un champ du site www.reviewskeptic.com. Problème, les agences d’e-réputation spécialisées dans la création de faux avis adaptent leur style de rédaction aux dernières avancées des systèmes de détection. La course entre la recherche et les faussaires rend ainsi le filtre de détection difficile et fragile à tenir sur la durée(3).

Reconnaitre les faux avis avec une facture de la prestation

Des sites proposent également des avis « garantis ». Pour cela, étape importante, les équipes de ces sites demandent la preuve qu’il y a bien eu transaction du consommateur, en réclamant une facture de la prestation évaluée. Par exemple, sur le site de mise en relation truster.fr, l’exactitude des informations déposées par les professionnels inscrits est vérifiée avant publication. Sans inscription, pas d’anonymat possible et le client accepte d’entrer dans une vraie démarche. Pour le moment, Truster.fr ne propose de mise en relation qu’en Ile-de-France(4).

La reconnaissance des faux avis grâce à la normalisation

Au-delà des algorithmes ou des sites incitant à donner des facturations pour mieux s’identifier, il existe également des codes de bonne conduite mis en place par les acteurs du secteur.

En France, AFNOR (Association française de normalisation) est à l’origine du projet de normalisation volontaire au niveau international. Ce projet s’inscrit dans la lancée de 2013 avec la publication de la norme NF Z74-501, qui propose une méthode fiable de traitement des avis des consommateurs. Publiée le 4 juillet dernier, elle se base sur trois étapes : la collecte, la modération et la restitution des commentaires laissés par les internautes. Parmi les nombreux critères à suivre – pour autant que le gestionnaire de site le décide car la norme est d’application volontaire – la vérification de l’identité du commentateur devient plus poussée et les preuves d’achat ou de consommation (5).

Le premier comité de l’Organisation Internationale de normalisation (ISO) sur l’e-réputation des entreprises et des administrations a récemment  vu le jour. Objectifs : être en phase avec d’autres pays et « vulgariser les meilleures pratiques », pour Olivier Gibert, porte-parole du groupe AFNOR.

Animé par la France, via AFNOR, ce projet de normalisation volontaire international se mobilise sur des sujets ambitieux qui dépassent le seul traitement des avis en ligne des consommateurs. Actuellement, 9 pays (dont Allemagne, Royaume-Uni, Canada, Chine) participent à cette élaboration tandis que 18 autres se contentent du statut d’observateur, les Etats-Unis ayant quitté le groupe de travail. La prochaine réunion est prévue en septembre ou en octobre 2015 en Chine.

Laurent Petit, chargé du dialogue client chez Décathlon et président du comité de normalisation volontaire de l’ISO, nous en dit plus.

La réputation des entreprises est-elle désormais liée à la digitalisation du comportement des consommateurs ?

La réputation des entreprises est plus que jamais liée à la digitalisation de l’environnement : il y a actuellement plus de téléphones portables que d’humains sur terre. De façon générale, nous avons une relation intense et fidèle avec notre écran. Aujourd’hui Internet fait partie intégrante du processus de pré-achat d’un produit ou d’un service. 80 à 90 % des clients consultent la fiche produit sur internet avant de l’acheter sur un site ou en magasin. Bien évidemment, la réputation de l’entreprise est synonyme de confiance pour le futur acheteur.

Cette réputation est directement liée aux recommandations faites par les consommateurs. Ceux sont eux qui « font et défont » l’image de l’entreprise. La réputation est en effet ce que l’on dit de vous sans vous. C’est ce que les entreprises doivent accepter. Nous savons maintenant que les commentaires faits par les clients sur leur retour d’expérience avec un produit ou un service impacte davantage la décision d’achat que le discours officielle de l’entreprise.

La communication aujourd’hui diffère de celle des années 80 ou 90 au cours desquelles les entreprises, les marques avaient un discours descendant vers leurs consommateurs. Maintenant, les « clients » ont pris le pouvoir et contribuent très largement à la réputation de celles-ci.

interview laurent petit 3

Le travail sur la normalisation de la réputation des entreprises contribuera à développer cette relation de confiance. Un premier travail de qualité a été réalisé en France avec la création de la Norme AFNOR autour des avis clients, travail que nous souhaitons internationaliser et élargir à la réputation avec ce Comité Technique ISO.

Dans ce cadre, que peut amener le projet de normalisation volontaire au niveau international ?

Les avis clients représentent une des composantes clés de nos travaux. Finalement, nous avons conclu que les avis clients répondaient à la même problématique dans tous les pays du monde. La norme sur les avis français n’est pas totalement duplicable en l’état mais elle constitue une très bonne base de travail que nous allons pouvoir internationaliser. Car on s’aperçoit de plus en plus que les clients à travers le monde possèdent des comportements relativement similaires. L’importance des avis et l’impact sur la décision d’achat ne sont plus à démontrer et ce que l’on soit en Chine, en Angleterre, en France, en Italie…

Aujourd’hui, nous bénéficions d’une formidable implication et d’une écoute attentive de la part des pays présents.

interview laurent petit 2

Les pays ont en effet pris conscience que la réputation de l’entreprise passe par la communication par le client pour le client. Quand on passe devant un restaurant, on est rassuré s’il est plein ; on peut faire le parallèle avec les avis clients tout en gardant à l’esprit que la quantité ne doit pas se faire au détriment de la qualité et de la véracité des avis.

L’ensemble des pays participants et notamment la Chine, le Canada, le Japon pour ne citer qu’eux, viennent enrichir nos partages d’expériences, et c’est un des objectifs de cette commission de normalisation. Nous avons les ingrédients de base, il nous reste à optimiser la recette afin de satisfaire le plus grand nombre.

Et c’est aussi pour cela que nous serions ravis d’accueillir de nouveaux pays. Plus il y en aura, plus cette norme sera internationale et internationalisable. La force de notre commission est de pouvoir travailler dans chaque pays avec les organismes de normalisation tels que l’AFNOR et des entreprises de divers secteurs d’activités (hôtellerie, articles de sports, …)

Va-t-il y avoir la définition d’un glossaire sur la réputation en ligne dans cette norme ?

Nous avons effectivement acté lors de notre premier meeting sur un groupe de travail autour d’un glossaire sur la réputation en ligne.

interview laurent petit 3

Il est important de se mettre d’accord sur les termes que nous allons employer. Un exemple très simple autour des avis : qu’est-ce qu’un avis client : un avis de consommateur, un avis d’utilisateur, un avis d’acheteur ?
A nous de trouver tous ensemble des définitions qui satisfassent les pays participants mais aussi et surtout les entreprises et clients du monde entier. Sur ce point, je suis très optimiste car chaque pays présent est vraiment dans une démarche de partage d’expérience et d’enrichissement mutuel des connaissances sans aucune arrière-pensée territorialiste.

Sources :
1. http://www.economie.gouv.fr/dgccrf/consommation/conso-par-secteur/e-commerce/faux-avis-consommateurs-sur-internet
2. http://www.blog.sampleo.com/2014/09/01/tripadvisor-face-justice-italienne-hebergement-vrais-faux-commentaires/
3. https://lejournal.cnrs.fr/billets/demasquer-les-faux-avis-du-web
4. http://www.francebleu.fr/infos/internet/faux-avis-sur-internet-une-entreprise-parisienne-trouve-la-parade-1895440
5. http://www.marketingattitude.net/2014/05/nf-z74-501-une-norme-pour-les-avis-de-consommateurs/
6. http://www.larevuedudigital.com/2014/12/16/les-commentaires-postes-sur-pagesjaunes-certifies-par-lafnor/